Des voyages épiques aux batailles, des dieux aux monstres, de l'héroïsme à la lâcheté, les sagas vikings ont exploré tous les thèmes de la mythologie nordique.
Une "saga" doit avoir une dimension épique, traverser de nombreux pays, traiter de toute la gamme des émotions humaines et raconter, dans ses pages, la vie de héros et des dieux. Les sagas vikings ne nous offrent rien de moins, et souvent tellement plus.
Le mot "saga" vient du vieux norrois et signifie "ce qui est dit"; cela renvoi à la tradition orales des premiers scaldes (poètes islandais du moyen Age) qui narraient leurs contes et légendes à un public captivé, durant les mois froids d'hiver.
Le peuple viking qui domina l'Europe du nord dès le VIII ème siècle était en grande partie analphabète, de sorte que raconter des histoires était un art prisé et apprécié. Les scaldes, poètes officiels, étaient payés pour divertir lors des grands rassemblements, accompagnant souvent un interlude musical et un banquet. Les conteurs itinérants étaient accueillis dans une communauté pour apporter les dernières nouvelles des régions plus lointaines. Chaque scalde était rattaché à un roi, un comte ou un chef de clan spécifique, racontant en détail les exploits héroïques de leur maitres. Pendant des récits intimes d'histoire de famille étaient racontés encore et toujours à la lueur du feux du foyer car l'appartenance à une lignée ancestrale était très important chez le peuple viking.
La société était composée d'esclaves, de travailleurs rémunérés, de paysans propriétaires, de nobles et de souverains. Alors que le Groenland et l'Islande étaient des républiques démocratiques, la majorité des nations vikings étaient des royaumes guerriers. Les femmes avaient un certains niveau d'influence, possédant des biens et des droits fonciers.
La connaissance du mode vie, de la culture et des sociétés vikings est entièrement due à ces légendes, entre voyages et mythologie, transmises oralement (puis gravées sur du vélin) au cours des siècles.
Les vikings étaient un peuple en mouvement originaire du Danemark, de Suède et de Norvège, ces hommes guerriers et commerçants diffusèrent leur culture à travers le monde, laissant ainsi leur empreinte nordique. A l'inverse, il furent aussi influencés par les coutumes et les croyances religieuses de ceux qu'ils ont rencontrés. Cet échange riche et multiculturel est omniprésent dans les sagas et les influences de leurs voyages sont abondantes.
C'est particulièrement vrai de la littérature scandinave ancienne. La connaissance précise de la géographie de l'Europe du Nord et de l'Ouest est clairement la conséquence des explorations des vikings. Les sagas nous révèlent qu'ils découvrirent l'Islande lorsque leurs navires furent déviés de leur trajectoire, vers 860 de notre ère. L'année suivante, ils partirent à la conquête de l'Irlande, de la Grande Bretagne, de l'Espagne, de la France, jusqu'en Afrique du Nord et la péninsule arabique. Ils furent les premiers à passer de l'Ancien Monde au continent américain. Finalement Christoph Colomb n'a fait que marcher dans leurs pas.
Pendant des siècles, les sagas vikings furent transmises par bouche-à-oreille, d'homme à homme, d'adulte à enfant grâce aux scaldes de l'époque. Ceux-ci racontaient les dernières batailles et les informations provenant de lieux reculés. Les hommes et les femmes étaient tenus au courant des dernières situations, tandis qu'on apprenait aux enfants l'importance de la bravoure et de la loyauté envers leur roi.
Cependant, au fil du temps, les scaldes les plus âgés s'éteignirent, laissant de plus jeunes conteurs prendre leur place avec un risque que ces merveilleuses légendes soient perdues à jamais. Ironiquement, ce fut une influence venue de l'étranger, qui les sauva de la disparition.
En 1000 l'Islande se convertit peu à peu au christianisme. Les missionnaires venus d'Europe de l'Ouest enseignèrent l'écriture aux islandais. Jusqu'alors, les runes n'étaient utilisées que pour de courts messages. Ailleurs en Europe, les gens instruits apprenait à écrire en latin, comme c'était la coutume au Moyen Age. Les vikings eux, choisirent d'écrire dans la langue de l'Islande. Les scaldes n'auraient plus a garder en mémoire toute la culture viking.
Tout au long du 11ème siècle, les islandais instruits commencèrent a consigner leurs mythologies, contes, poèmes et récits. L'Islande était un cas particulier parmi les autres pays européens car sa population était composée de nombreux agriculteurs-propriétaires. Ceux-ci étaient financièrement à l'abri et avaient donc les moyens de commander des livres et des manuscrits dans leur propre langue.
Les sagas vikings peuvent être comparées plus ou moins aux récits épiques et, dans une moindre mesure, à la forme littéraire moderne du roman. Certaines sagas consacraient beaucoup de temps à détailler les exploits de simples mortels, ce qu'on ne voit pas dans les poèmes épiques. Elles sont très reconnaissables au fait qu'elles racontent des actions extraordinaires, pas nécessairement réalisées par des héros, mais par le commun des mortels l'Islandais ordinaire. Le roman et la saga racontent tous les deux un récit chronologique mais, contrairement au roman type, la saga entremêle souvent plusieurs narrations. si un roman comporte plusieurs intrigues, l'auteur va généralement essayer de les regrouper avant la fin du livre. Ce n'est pas le cas dans la saga, ou une intrigue peut disparaitre si elle n'est plus nécessaire. Une disparition aussi déroutante d'un personnage est parfois explicitée par l'auteur en disant que tel personnage est désormais "sorti de la saga". Un auteur scandinave a expliqué ce style en le comparant à l'eau courante, qui coule de plusieurs sources, et qui pourtant converge en un seul lieu, la mer.
Le roman passe son temps a créer des personnages et permet au lecteur d'entrevoir ses pensées intérieures et ses motivations. Les scaldes consacraient peu de temps à de tels procédés. Plutôt que de nous permettre, à nous lecteurs, de voir à l'intérieur de la tête de tel personnage on nous montre à travers les actions des personnages quelles sont ses motivations. Un simple changement de couleur de vêtements, par exemple, doit avertir le lecteur que le héros est en colère et qu'il a l'intention d'exercer un châtiment violent. D'autres avertissements peuvent être représentés sous la forme d'un rêve ou d'une manifestation surnaturelle. Dans une saga, on entend rarement, voir jamais, la voie du narrateur.
Le Fornaldarsogur (littéralement "saga des temps anciens) sont une catégorie de sagas. Elles se concentrent sur l'époque préchrétienne en Scandinavie et mêle joyeusement mythologie et aventures. Ici, l'accent est mis sur le divertissement.. Des leçons pouvaient être tirées de ces récits: ils encourageaient les jeunes gens à être braves et héroïques
Les scaldes chrétiens se sont éloignés des récits païens pour aller vers des paraboles divertissantes. L'exemple le plus célèbre, la volsunga saga, était une saga nordique composée d'histoires tirées de "lais" ou de poèmes héroïques, et porte sur Sigurd, les Burgondes, et Ermanaric, le roi Ostrogoth.
La saga des rois, ou Heimskringla, contient les histoires des rois de Norvège de la préhistoire jusqu'au XIV éme siècle. Les toutes premières sagas furent écrites par les Norvégiens, mais ce fut les Islandais qui compilèrent les récits des rois pour la postérité. Les passages de poésie étaient souvent intégrés dans la prose et étaient connus sous le nom de "poèmes élogieux", transmis oralement et remontant à plus de 200 ans. Les sagas étaient, selon tout vraisemblance, destinée à servir de référence historique, en éduquant les générations futures et en leur montrant qui les avait précédées. Elles étaient offertes en cadeaux, parfois aux rois eux-mêmes. On pense que le magnifiquement illustré Flateyjarbok, comprenant les sagas de Olaf Tryggvason, qui fut l'instigateur de l'adoption du christianisme chez les Islandais, et de Saint Olaf, fut offert au roi Olaf IV lorsqu'il était enfant.
Parmi les autres sagas populaires de ce genre, on trouvait l'étrangement nommée Fagrskinna qui signifie "peau de feu", et Morkinskinna qui signifie "peau putréfiée".
Les gens ordinaires étaient représentés dans des récits comme la Bandamanna saga, ce qui renforce la différence importante entre l'épopée et la saga, tandis que les sagas des évêques et des Saints étaient imprégnées de la gloire des nouveaux héros chrétiens.
La vie des apôtres et des saints était immensément populaire et lue avec bien plus de déférence et de respect que celle des désormais défunts dieux nordiques Odin, Freyr, Baldr et Thor. Les Islandais se tournaient dorénavant plutôt vers le paradis que vers le valhalla.
La saga des poètes traitait de la vie amoureuse tourmentée des célèbres scaldes. Leurs personnages tumultueux en faisaient des lectures divertissantes car ils apparaissaient comme des créatures excentriques aux compétences et aptitudes étonnantes.
Tout comme on pourrait lire la vie d'une star de cinéma de nos jours, les vikings souhaitaient en savoir plus sur leurs célèbres scaldes. Les sagas romantique, également connue sous le nom de "saga des chevaliers", étaient retranscrites à partir d'histoires d'amour européennes et initié par le roi Hakon IV de Norvège.
L'intérêt pour ses contes commença en Norvège mais il s'est rapidement étendu à l'Islande ou ces contes sont devenus très populaires.
Par le passé, les poèmes qui faisaient l'éloge d'une femme avaient été interdit par crainte que les mots puissent déclencher un mauvais sort.
Les vikings croyaient que la poésie était un don divin d'Odin, le plus grand des dieux, et qu'elle détenait donc un pouvoir particulier. Le christianisme a balayé cette pensée païenne. Mais elle persista tout de même sous forme de superstition et de folklore.
La première saga fut très probablement la Tristrams saga en 1226 qui fut inspirée de la légende de Tristan et Isolde. D'autres sagas ont suivi, notamment la Karlamagnus saga la Laxdaela saga et la Grettis saga.
Les "sagas contemporaine", appelées ainsi parce quelles étaient écrites peu après les évènements qu'elles décrivaient, étaient différentes des autres sagas puisqu'elles n'étaient pas fondées sur les transmissions orales des premiers scaldes mais plutôt sur des textes historiques récents. La majorité d'entre elles se déroulaient dans l'Islande des XII et XIIIe siècles et concernaient la société Islandaise durant une période particulièrement agitée ou le pays perdit son indépendance politique au profit de la Norvège. On peut trouver la plupart des ces récits dans la Sturlunga saga et , dans une moindre mesure, l'Arons saga.
Cependant, les sagas les plus populaires et les plus célèbres de toutes sont les sagas des Islandais ou "saga des familles". Ces Islendingasogur, comme on les appelle en Islande, sont les récits passionnants des ancêtres de l'Islande qui vécurent du IXe au XIIe siècle. Ces histoires parlent de toutes les couches sociales, des paysans aux chefs de clan, et suivent souvent leurs familles de génération en génération. Elles couvraient donc l'époque de la colonisation jusqu'à la période de l'état Islandais. Il est clair que le temps passé entre les évènements et leur écriture a déformé la réalité, d'autant plus qu'on a donné une orientation chrétienne, mais les sagas de famille sont néanmoins un témoignage précieux de la société viking et de la culture scandinave.
Les premières islendingasogur montraient l'importance des valeurs scandinave de loyauté et d'héroïsme. La plupart d'entres elles étaient issues des premières transmissions orales diffusées par les scaldes de chaque village. Puis les scaldes convertis au christianisme et érudit, décidèrent de consigner toutes ces histoires sur du vélin afin de les préserver. Bien que la plupart des "héros" au sein des sagas de famille soient de simple paysans, certains étaient célèbres à l'époque. Les déjà mentionnées sagas Laxdaela sagas et Grettis saga appartenant aux sagas romantiques sont également considérées comme des sagas de familles car elles concernaient la population locale. La Gisla saga écrite avant le milieu du XIIIe siècle témoigne d'une impressionnante habileté artistique et reflète les talents de son sujet, le poète Gisli sursson.
Au fil du temps, les sagas des Islandais devinrent plus romantiques et incluaient des éléments magiques jamais vus depuis les sagas légendaires. Le folklore était inséré dans les récits, mêlant les faits avec le fantastique. La saga de Grettir le fort ou la Grettis saga était truffée de figures féeriques et représentait le héros luttant contre de terrifiants fantômes et trolls monstrueux des légendes Norvégiennes, une réappropriation de certains motifs païens
Le meilleur de tous les derniers Islendingasogur est sans conteste la Njals saga, écrite en 1280 mais située au Xe siècle dans le contexte de christianisation de l'Islande. Njal est un héros de son temps, sage, réfléchi et prudent. Il fut aussi touché par le don de prophétie qui fois de plus ajoute l'élément surnaturel qui manquait aux premiers récits chrétiens. fois de plus ajoute l'élément. L'auteur de cette spectaculaire saga dépeint son héros avec tous les idéaux scandinave traditionnel de bravoure, force et de loyauté inébranlable, mais il ajouta des attitudes modernes et chrétiennes pour plaire aux lecteurs de l'époque. Lorsqu'il est confronté à la mort par le feu, Njal se résigne sur son sort comme le ferait un martyr chrétien, unissant ainsi l'ancienne pensée des sagas traditionnelles avec celle des nouvelles. La "mort par le feu" était une forme de vengeance courante à l'époque des vikings et était reconnue dans les querelles de sang. De cette façon la Njals saga, tente de plaire aux anciennes générations qui appréciaient les références au passé, et suscite l'intérêt des plus jeunes membres de la société qui se sentaient plus à l'aise avec les vertus chrétiennes. C'est pourquoi, elle est considérée comme un chef-d'œuvre littéraire.
La conversion au christianisme joua un rôle important dans de nombreuses sagas vikings,. Il va de soi que, assurément, sans la consignation par écrit des récits, la plupart des sagas, sinon toutes, n'auraient jamais survécu. En l'état actuel des choses, il n'existe aucune retranscription exactes des récits racontés oralement. , dont on ne puisse pas profiter. Au contraire, le lecteur moderne doit se contenter des versions modifiées, largement remaniées par les scaldes chrétiens. Tous les manuscrits subsistants remontent bien après l'époque à laquelle les histoires ont été écrites à l'origine. Il y a un certains de manuscrits anciens et récents qui sont censés raconter le même récit, mais les différences sont immenses. Tout comme les contes de fées ont été considérablement remaniés dans leur récit au fil des ans, il en est de même pour les sagas.
Naturellement, l'inclinaison chrétienne est devenue plus visible avec le temps. La bravoure et l'honneur furent peu à peu remplacés par la piété et la vertu, mais le désir de se battre, de conquérir des terres et de dépasser les querelles familiales ne fut jamais perdu. Bien que parfois tempérées, les passions du peuple viking demeurent étonnement vivante tout au long des histoires.
La Kristni saga, un texte Islandais anonyme, dont on suppose qu'il a été écrit au XIVe siècle, décrit la conversion de l'Islande au christianisme. On notera avec intérêt qu'on y aborde le processus de conversion comme s'agissant d'un processus politique d'avantage qu'un revirement spirituel, ce qui renforce les nombreuses tentatives des scaldes pour équilibrer les deux groupes religieux. Les rites païens, tels que les serments sacrés prêtés sur un anneau et les sacrifices à Thor, Freyr ou Njord ont très certainement continué en privé, à l'abri des regards. Des croyances aussi enracinées et passionnées ne pouvaient pas être complètement éradiquées aussi facilement, surtout si la raison à l'origine du changement n'était pas le fait de s'aligner sur les autres nations.
Les premiers historiens acceptèrent les sagas comme des récits véridiques, ceci malgré les créatures mythologiques. On présumait généralement que le déroulement des batailles historiques, la chute des dynasties, étaient plus ou moins vrais. Cependant, les universitaires se sont par la suite opposés à l'idée selon laquelle les sagas étaient historiquement véridiques, et ils les ont au contraire qualifiées de simples œuvres de fictions créée pour divertir les gens.
Aujourd'hui les historiens adoptent un point de vue plus nuancé. D'un coté les sagas sont très romancées. Les héros et héroïnes sont toujours physiquement remarquables, intelligents et habiles, qu'ils soient nobles ou paysans. La probabilité pour que ce soit réellement le cas est pour le moins faible. Des évènements surnaturels se produisent mais ils peuvent être expliqués ou compris par une intervention divine ou magique, païenne ou chrétienne. Un vernis chrétien "brouilla" également les cartes. Comme pour tout texte historique, l'œuvre est le plus souvent écrite du point de vue du vainqueur et, dans le cas de nombreuses sagas, rédigée parfois après les évènements. Mais avant d'ignorer complètement ses œuvres, il faut reconnaitre leur importance pour mieux comprendre la vie des vikings.
A travers les sagas, les historiens en sont venus à comprendre la complexité de la société scandinave, ses règles sur le divorce, ses lois et l'influence de l'althing (le parlement national), le paganisme, le banditisme et leurs coutumes concernant l'accueil. L'importance qu'ils accordaient à la parenté, à la communauté, à la famille et à l'honneur a été décrite avec précision pour que nous puissions la comprendre. Ce n'était pas une nation de barbares guerriers, mais plutôt des hommes passionnés, trop facilement caricaturés par Hollywood.
L'archéologie démontre que beaucoup de ces histoires sont imprégnées de faits réels, et elle a servi a localiser de vraies colonies vikings tel que le site de l'Anse aux Midows à Terre Neuve. Les périples entrepris par la grande armée païenne et les groupes qui ont suivi peuvent tous être retracés sur une carte actuelle. Ces hommes étaient réels, leur vie étaient réelle et leur histoire à perduré grace aux sagas vikings.